Manufacture des Tabacs
Lyon Monplaisir 

               

 

   1/2008   *



Photographie prise en 2007. Façade ouest

                                                                                  Par Jacques Navro

                       L'ANCIENNE MANUFACTURE DES TABACS DE PERRACHE

          Datant au moins de 1811, c'est-à-dire de l'origine même du Monopole du tabac institué par Napoléon 1er, l'Administration des Manufactures de l'Etat mit à Lyon une manufacture de tabacs d'environ 8 000 m² à l'angle du quai Gailleton et du cours du Midi (aujourd'hui de Verdun). C'est l'emplacement actuel du lycée Juliette Récamier.
          Les murs de cette manufacture devaient exister avant la création du monopole et auraient pu appartenir à l'ancienne Ferme Générale des Tabacs de l'Ancien Régime.

LA NOUVELLE MANUFACTURE DES TABACS DE MONPLAISIR

C'est aux environs de 1900 que l'Administration décide de mettre à l'étude le projet de construction d'une nouvelle manufacture de tabacs. Elle commence à acquérir pour le prix du franc symbolique (ancien), comme c'était la coutume pour les transferts entre deux services de l'Etat, le terrain militaire dit de la Lunette des Hirondelles, vieil ouvrage fortifié datant de la ceinture des forts de Lyon (1830-1849), face au Fort Montluc. Ce terrain de 25 000 m² en bordure de la voie ferrée Lyon-Genève est situé entre le cours Gambetta (actuel cours Albert Thomas) et la Grande rue de Monplaisir (actuelle avenue des Frères Lumière). La proximité de la voie ferrée avec la pose d'un embranchement particulier permettrait la réception des feuilles de tabac et l'expédition des produits finis hors de Lyon.
                   L'ingénieur en chef Clugnet, directeur du Service Central des Constructions et Appareils mécaniques fut chargé du projet. "On le disait Lyonnais d'origine ce qui permettait d'ajouter, quand on parlait de lui, qu'il avait voulu pour sa ville natale la plus belle de nos manufactures!" (A. Mondiez).

ARCHITECTURE GENERALE

-bâtiment à charpente métallique
 -couverture en ardoise, supportée par des combles à la Mansart, percées de lucarnes appelées  "jacobines”
 -frise décorative de couleurs pour dissimuler les chenaux en béton armé peu esthétiques,

 -murs extérieurs recouverts en parement de briques de couleurs différentes et alternées, à joints rompus encastrés dans la maçonnerie en moellons non recouverts de crépis,
-soubassement en pierre dure de Villebois dans l'Ain et chaînage en pierre de taille blanche.                  

 Pour éviter la monotonie des longueurs du bâtiment (170 mètres) et "rompre la ligne", le concepteur imagina de la diviser en deux groupes de bâtiments, Nord et Sud, reliés par des ponts de service aux étages; cette disposition avait, en outre, l'avantage de permettre une coupure facile en cas d'incendie. Chaque coin de l'immense quadrilatère fut orné d'un pavillon de logement du plus bel effet. Le bureau du directeur était dans le pavillon nord-est (actuel Mac Do) et ses appartements dans le pavillon nord-ouest alors que le l’ingénieur technique logeait a l’est. Du côté de la voie ferrée, les bâtiments en retrait furent prolongés par une terrasse au niveau des sous-sols, destinés à l'emmagasinage avec une marquise au­dessus du quai pour le protéger des intempéries.
                    II semble que M. Clugnet se soit inspiré des perspectives du Palais du Louvre sur les quais de Seine.

LA CONSTRUCTION

Les travaux commencés en 1912 furent interrompus par la guerre de 14-18 et ne reprirent qu'en 1920 pour s'achever définitivement en 1932.
                   II y eut d'abord un gros travail de préparation sur le terrain pour déterminer la profondeur des fondations. On construisait en effet sur des anciens graviers du Rhône! Des sondages conduisirent à fonder à 12 mètres la partie nord sur le cours Gambetta et seulement à 6 mètres la partie sud.
                   Les plans d'exécution furent dessinés par le Service Central des Constructions et Appareils mécaniques sous la responsabilité de Clugnet lui ­même et restent pour l’époque de véritables oeuvres d'art.
                    Le premier coup de pioche fut donné, sans cérémonie, en 1912 après une adjudication difficile. Les travaux devaient durer cinq ans. La guerre de 14-18 les interrompit car les clauses des marchés prévoyaient la résiliation de plein droit en pareil cas. Ils ne furent repris qu'après la démobilisation de 1919 (pratiquement en 1920).
                   En raison de la hausse vertigineuse des prix les adjudications furent annulées et on procéda par marchés partiels. Cela explique la durée du deuxième chantier de 1920 à 1932, en plus des changements de programme, des changements de destination des locaux  et du budget d'Etat coupé en cours d'exécution
                   Le déménagement de Perrache à Monplaisir eut lieu dès 1929. L'ingénieur en chef Viard fut nommé directeur des travaux en 1920. II assura la direction de la manufacture jusqu'en 1937 où lui succéda Adrien Mondiez jusqu'en 1957.
                   Dès 1928, on transféra certaines fabrications de la vieille manufacture de Perrache, ce qui retarda l'achèvement des bâtiments annexes et ce n'est qu'en 1932 que la nouvelle manufacture de Monplaisir fonctionna à plein régime et sous son aspect définitif. L'ingénieur en chef Viard prit sa retraite le 31 octobre 1937 et décéda moins d'un an plus tard.

                CARACTÉRISTIQUES ET PRODUCTION DE LA “MANU”  

                     L'usine de Monplaisir occupait une surface au sol de 27 670 m2 pour 37.980m² de planchers. La puissance électrique installée était de 1 800 KVA.
                    La manufacture fut spécialisée dans la fabrication des Gauloises, des "Troupe", et du tabac Scaferlati pour la pipe. Au total, en 1971, plus de 2 528 millions de Gauloises "Troupe", 252 millions de Gauloises normales, 3 205 tonnes de Scaferlati supérieur (bleu), 127 tonnes de Scaferlati Caporal (gris). Pour ce faire, on a employé 6 700 tonnes de tabacs en feuilles.
                    Dans les années 1970 l’usine travaillait en journée continue de 7 h à 16 h avec un arrêt de 45 minutes pour les repas à la cantine. Elle possédait une crèche pour les enfants de 1 à 6 ans et employa, en moyenne en 1971, 370 ouvriers et ouvrières dont 200 hommes et 170 femmes, 21 employés et employées, 16 agents de maîtrise et 5 cadres. II s'agissait en partie d'habitants du quartier. Ceux-ci se plaignaient pourtant des odeurs répandues par les cheminées sur Monplaisir et jusqu'à La Buire malgré les filtrations de fumées. Le quartier était particulièrement  "odorant" quand le parfum du tabac se mêlait délicatement à celui du chocolat “Meunier” ...

                     Un incendie détruisit, en 1979, les combles du bâtiment sur le cours Albert Thomas. En 1987, la fabrication fut arrêtée. Un cinquième des locaux fut seulement occupé par une centaine de salariés pour la distribution aux 4000 buralistes de la région.
                    La manufacture ferma définitivement en 1990 et son activité “distribution” partie dans un nouveau centre à Mions

 

LE TRAVAIL DU TABAC

 

Dès leur livraison les "boucauts" de tabacs indigènes ou exotiques sont emmagasinés par espèces et qualités. Les stocks représentent plusieurs mois de production.
                    La préparation commence par des opérations de tri visuel "épourladage" (séparation et étalage des feuilles). On procède alors au battage des "manoques" (groupe de feuilles séchées pour séparer la nervure centrale (côte) du parenchyme (strips), puis au mouillage et assouplissement sous vide avec de la vapeur d'eau. Le tabac est ensuite haché à un calibre approprié au Scaferlati à bourrer la pipe ou au Caporal à rouler. Après mélange avec les côtes, intervient la torréfaction (traitement spécifique du tabac brun français), le séchage, le dépoussiérage pratiqués dans des chambres contrôlées thermiquement. Certaines qualités sont soumises à une maturation d'un mois.
                    Les opérations suivantes sont mécanisées. Haché menu le tabac passe entre des rouleaux qui le forment en bâtons cylindriques emprisonnés dans un rouleau de papier de riz et entraîné vers un couperet qui débite jusqu'à 4 000 cigarettes à la minute, ce qui correspond à une vitesse de 17 km/h. Rassemblées par blocs de 20 unités, les cigarettes sont conditionnées en paquets qui leur donnent une identité commerciale (Gauloise, Troupes, etc...). Les paquets sont regroupés par cartouches passant aux services d'emballage, stockage et expédition. Tout le long de la fabrication, des contrôles mesurent l'humidité, le poids, le tirage, la compacité, etc..
                   Vers 1960, la manufacture de Monplaisir avec 500 personnes assurait le dixième des productions de la SEITA en Gauloises ordinaires et paquets de Scaferlati supérieur.

L'UNIVERSITÉ JEAN MOULIN III

  
                    L'emplacement de la Manufacture des tabacs étant disponible pour d'autres usages, la Communauté Urbaine de Lyon en fit l'acquisition pour y installer l'université Jean Moulin III.
                    Ne pouvait-on pas installer l'université dans ces locaux sans défigurer les façades de ce beau bâtiment du début du XXeme siècle? Probablement pas en raison de l'adaptation des locaux à leur nouvelle fonction. D'après les architectes dont nous oublierons charitablement les noms, il fallait que: "l'université occupe une place clairement identifiée dans la ville, et devienne le symbole de la tradition et de la modernité réunies tout en respectant la fonctionnalité des espaces et des services".
                   La première tranche de travaux dite tranche Nord comprenant la construction, rue Rollet, de deux amphithéâtres et d'un espace bibliothèque de 5 000 m² fut réalisée entre 1990 et 1996 avec réhabilitation des locaux industriels de la manufacture (moitié nord) en locaux à usage d'enseignement.
                   La deuxième tranche dite tranche Sud suivit avec la démolition des pavillons d'habitation. La volonté déclarée fut de faciliter le retour des étudiants dans la ville en leur donnant des moyens et des locaux corrects et viables? Verre et béton devaient-ils “gâcher” les belles pierres et briques anciennes? Seule la façade le long de la voie ferrée fut à peu près respectée.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

  - Texte tiré d’un article de Jacques Navrot publié dans la revue “Rive Gauche” n°166 de septembre 2003. Remis en forme et adapté par Maurice Charras avec les remarques de Jean Ricadat.
   - Documentation photographique de M. Ricadat, ancien directeur (de 1966 à 1987)
   - Historique de la Manufacture des Tabacs de Lyon par Adrien Mondiez, ingénieur en chef honoraire des manufactures de l'Etat (octobre 1969)
   - Plaquette du 50ème anniversaire de la Manufacture des Tabacs 1929-­1979
   - Journées du Patrimoine (septembre 1999)
   -Atelier du Patrimoine de la MJC de Monplaisir

                       

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